guylelong
A Il lui fallut d’abord établir des fondations. Il y est plus ou moins parvenu en réalisant sa première fiction (Un Plan tramé, récit plastique) et son premier essai (Des Relations édifiantes, essai d’architecture métafonctionnelle).
B S’il s’avéra que ces fondations étaient en fait implantées de biais, elles lui permirent toutefois d’y asseoir le niveau suivant, premier à émerger du sol, avec le roman in situ Le Stade et un deuxième essai (Révolutions sonores, de Mallarmé à la musique spectrale).
C Ce niveau ayant le renversement pour figure génératrice lui permit d’accéder à l’étage suivant avec le roman flipbook La Poursuite et un dernier essai (Déductions de l'art, un récit transverse partant de Mallarmé : Buren, Grisey, Danielewski, Rahm, Noé.
D Cet étage ayant la traversée pour principe de base, l’ensemble est surmonté d’un élément supplémentaire, le roman 3D Le Continuum. L’édifice changeant qu’il désigne a pour structure celle-là même qu’on vient de lire. Les trois romans – in situ, flipbook et 3D – constituent un sous-ensemble intitulé Le Volume unifié, que la directrice de la Maison de la poésie de Nantes, Magali Brazil, a qualifié de « prouesse expérimentale éblouissante ».
A
Un plan tramé
récit plastique
(1981-1999)
Exposition « Autonommées 1 » organisé par Patrice Hamel,
espace J & J Donguy, Paris, 2000
Le récit plastique Un plan tramé se présente sous la forme d’un volume géométrique destiné à prendre place dans tout lieu susceptible de l’accueillir. Ce volume « théorique » est constitué d’un demi-cube faisant deux mètres de haut sur une base de quatre mètres par quatre. Il n’est concrétisé que par trois de ses parois verticales, la quatrième étant laissée libre pour permettre d’y accéder.
Sur ses trois parois verticales blanches internes ou « murs » est collée à hauteur des yeux une bande horizontale de papier, comportant trois plages par mur, sur chacune desquelles six lignes de texte sont imprimées selon trois gammes de couleur : blanc, gris, noir pour le mur 1, blanc, rouge, gris pour le mur 2, blanc, jaune, bleu pour le mur 3. Vient s’y disposer un ensemble de parallélismes établis, horizontalement et verticalement, sur des enchaînements de mots, de syllabes ou de lettres.
La bande horizontale de papier, sur laquelle les lignes d’écriture sont inscrites, est interceptée en plusieurs endroits de son trajet par des marques graphiques du support. Disposées verticalement pour les murs 1 et 3, et obliquement pour le mur 2, ces marques sont de trois types : des pliages du papier, des coupes permettant de raccorder des fonds de couleur distincte, de fines bandes de couleur agissant comme des « zips ». Modifiant différemment les mots qu’ils interceptent, ces agissements du support sont prolongés à même les trois murs par des traits de couleur d’épaisseur variable qui déterminent le dessin de ce récit plastique.
Si les parallélismes entre couleur et ligne d’écriture relèvent de la coordination, les altérations que le dessin du support inflige au texte relèvent du conflit. La mise en place de ces agencements contraires permettant que texte, dessin et couleur s’articulent entre eux sur la base de leurs propriétés communes, s’oppose au principe de la « bulle » en bande dessinée qui ressortit à la juxtaposition.
Le texte du premier mur, autodescriptif, se contente d’énoncer ses règles génératives et de faire assister à l’entrée progressive des traits qui prolongent les interventions plastiques effectuées à même son support. Disposé selon des italiques correspondant à l’inclinaison du dessin qui raye sa surface, le texte du deuxième mur se transforme progressivement en une fiction : une manifestation se développe au milieu d’une place qui, bordée de bâtiments sur trois de ses côtés, a donc pour maquette le volume d’Un plan tramé. Si les manifestants parviennent à échapper à l’intervention des forces de l’ordre qui s’ensuit, le narrateur, qui entre alors dans cette histoire, est pris pour l’auteur du plan ainsi tramé contre l’ordre. Profitant du fait qu’avec le troisième mur tout l’espace textuel bascule, il y bascule aussi pour accéder à un tout autre rivage.
Considéré comme « quelque chose de majeur » par le théoricien du Nouveau Roman Jean Ricardou, le récit plastique Un plan tramé adapte son dessin en fonction de la taille des lieux où il est exposé. Une version différente a parallèlement été conçue pour le livre.
Un plan tramé : le lieu de l'écrit >
Un plan tramé : prologue bande dessinée >
Un plan tramé : écrit par son support >
Parallélismes horizontaux :
syntaxiques (mur 1), syllabiques (mur 2) et littéraux (mur 3),
appuyés par les différences de couleur figure / fond
(G : gris, B : blanc, N : noir ; rouge, bleu et jaune)
Marques graphiques du support perturbatrices du texte :
C (coupe), Po (pliage ouvert), B (bande), Pf (pliage fermé)
Préface à la réédition >
Sol LeWitt, Wall Drawing, actualisé par Guy Lelong
(chapitre : Les mobiles de l'espace)
Un plan tramé, schéma d'inclinaison
Des relations édifiantes, trapèze, diagonale et oblique
B
Le stade comme livre, ouvert à 60° à la dernière page de son premier chapitre, constitue la maquette du stade en tant qu’édifice.
Établissement, diagramme du stade
Révolutions sonores,
de Mallarmé à la musique spectrale
une théorie des rapports texte / musique / contexte
Paris, éditions MF, collection « Répercussions », 2010, réédition 2014
Notamment initiée par le compositeur Gérard Grisey (1946-1998) au milieu des années 1970 et développée aujourd’hui internationalement, la musique « spectrale » apparaît comme un courant artistique majeur de ces dernières décennies. La musique spectrale a accompli une véritable révolution en repensant la musique à partir de la nature même du phénomène sonore, telle que les découvertes de l’acoustique permettaient alors d’y accéder.
Cette « révolution sonore » est ici mise en relation avec deux autres renversements : celui que Mallarmé a effectué un siècle plus tôt sur la littérature en concevant ses poèmes à partir des caractéristiques mêmes du langage et celui que Daniel Buren opère avec la notion d’art in situ, qui inverse la relation que les œuvres entretiennent avec leurs lieux de présentation.
L’étude de ces trois renversements permet ensuite à l’auteur d’exposer un nouveau modèle d’intégration du texte à la musique, qu’il a notamment expérimenté lors de ses collaborations avec le compositeur Marc-André Dalbavie et dans le cadre de spectacles musicaux avec le plasticien metteur en scène Patrice Hamel.
Ainsi cet ouvrage élabore-t-il peu à peu une théorie des rapports texte / musique / contexte. Y sont notamment recensées toutes les manières de faire émerger le sens du texte à partir de la musique en prenant pour appui les propriétés communes à la langue orale et à la musique (son, rythme, intonation, segmentation) et même envisagée, au plus loin de l’actuel « retour à l’opéra traditionnel », la possibilité de transformer graduellement, grâce à l'électronique, le son instrumental en texte parlé.
Rétablissement, fin virtuelle du livre
Figure du renversement
Le Stade, roman in situ, et Révolutions sonores, de Mallarmé à la musique spectrale, une théorie des rapports musique/texte/contexte, conçus au cours des décennies 1990-2000, ont le renversement pour figure commune.
En effet, le roman in situ Le Stade se déroule dans un espace de base rectangulaire surmontée par une immense verrière en V. Si le narrateur, rapidement changé en l’unique personnage de cette histoire, doit deviner les épreuves d’athlétisme qu’il doit enchaîner à la seule vue du dessin du sol et de ses particularités, il soupçonne peu à peu que l’édifice où il va effectuer ces épreuves possède un double symétrique qui le renverse et avec lequel toute la fiction bascule.
Quant à l’essai Révolutions sonores, il relie trois renversements cédant respectivement l’initiative aux mots (Mallarmé), aux sons (Gérard Grisey) et au site (la salle de concert comme de départ de la composition musicale), renversements permettant d’en envisager un autre : celui des rapports texte / musique.
Pivotement de la moitié haute du stade
Postface du Stade >
France Culture, entretien avec Pascale Casanova
Septembre 2009
Révolution sonores, les trois renversements
C
La Poursuite
roman flip-book
Paris, éditions Les Petits matins, coll. « Les Grands soirs », 2021
À la suite du roman in situ Le Stade qu’il prolonge, le roman flipbook La Poursuite a pour projet d’intégrer la dimension du livre au sein d’un continuum textuel évolutif. Si la fiction se développe à partir de la vitesse de feuilletage du livre, le double sens de son titre – continuation et projecteur de théâtre – lui apporte un éclairage supplémentaire. Assis à bord de son unité minimale de roulement, le héros suit une ligne infiniment droite dans un paysage en constante transformation. Restés à la base dont ils longent les aires d’activité, ses coéquipiers discourent sur les raisons de cette ligne. Quand ils atteignent le sommet de l’aire la plus haute, ils sont téléportés et La Poursuite apparaît alors sous un tout autre jour.
Quatrième de couverture
Dans le premier chapitre de La Poursuite, la description du lieu où le héros prend place et s’oriente est rendue visible par la condensation de la typographie qui forme une masse compacte à l’intérieur des marges de la page, tandis que l’évolution de cette fiction se traduit dans le deuxième chapitre par l’éclaircissement de la densité du texte dont la vitesse de lecture est rompue par des temps de repos récapitulatifs du récit, alors que dans le dernier chapitre une distance de plus en plus grande s’installe entre le texte et l’espace de la page, en le divisant, en le segmentant en pavés dynamiques qui s’inscrivent sur le blanc du papier comme des mobiles qui parcourent à la suite du héros l’horizontalité et la verticalité de cet espace, incisant dans le plan de la page du livre les éléments du flipbook conceptuel et visuel que constitue La Poursuite du temps dans ce récit dont l’effacement est montré par l’évanouissement physique de la typographie et du héros à la fin du livre.
À la suite du Stade, son précédent ouvrage, Guy Lelong ne propose pas de contenu narratif dans La poursuite, mais laisse l’organisation du livre appliquer ses propres principes et devenir le stimulateur de lecture d’une fiction dont l’évolution temporelle et formelle ne cesse de guider et d’égarer le héros de cet étrange récit dont le fonctionnement se déduit de la forme et de l’épaisseur du volume qui lui sert de cadre, l’auteur lui-même n’étant que le cosignataire des pièges et des chausse-trapes accumulés avec humour pour le plus grand plaisir du lecteur entraîné par un mécanisme dont le fonctionnement lui échappe.
Vianney Lacombe, poezibao, 2021
La Poursuite, esquisses
Aires de la base avec, indiqué en rouge, ce que l’unité minimale
de roulement en perçoit dans L’ordre du temps au fur et à mesure
qu’elle s’en éloigne
Dessin de l’unité minimale de roulement déduit de la disposition des strates textuelles au cours des trois parties du livre
L’unité minimale de roulement :
1) partie principale arrière avec ses huit blocs & cabine avant
2) détail du siège et du tableau de bord
La Poursuite, image possible de la base, 3D © Nelson Fossey
De gauche à droite : aire de résidence, aire de rabattement,
aire de recollection des images, aire de roulement.
Suivant une convention des perspectives axonométriques, la bande
des couloirs, formée par les vitrines, les réserves et les cabines
est d’abord représentée en entier puis réduite à son seul plan.
Déductions de l'art
Un récit transverse partant de Mallarmé :
Buren, Grisey, Danielewski, Rahm, Noé
Flaubert – Mallarmé, impressionnisme, Debussy – Picasso, Joyce, Stravinski, Le Corbusier – Mondrian, van Doesbourg, Pollock, Morris Louis, Ad Reinhardt, Schoenberg, Webern, Morton Feldman, Boulez, Mies van der Rohe, Brasilia, Raymond Roussel, Robbe-Grillet, Dziga Vertov, Michael Snow, Orson Welles
Duchamp – Mallarmé, Buren, Cage, Stockhausen – Lichtenstein, Sol LeWitt, Berio, Stockhausen, Gaddis, Sorrentino, Arno Schmidt, Perec, Emmett Williams, Frank Lloyd Wright, Tschumi – Buren, Varini, Patrice Hamel, Grisey, Jean-Luc Hervé, Danielewski, Philippe Rahm, Gaspar Noé
Opposé à la notion de « grands récits » que les postmodernes ont inventés, cet ouvrage propose bien plutôt un récit transverse. Apparu avec Mallarmé à la fin du xixe siècle, ce récit transverse est celui des « déductions de l’art » : alors que toute une tradition artistique occidentale dominante tend à imposer des idées ou des systèmes a priori aux propriétés des langages, des médiums, voire des lieux d’accueil des œuvres, cette pensée tend tout à l’inverse à déduire un sens multiple de l’exploration de ces propriétés. Si pour l’idéologie « postmoderne » favorable à la notion de « grand récit », cette pensée déductive appartient à une époque révolue, cet essai montre au contraire qu’elle se poursuit aujourd’hui dans les domaines artistiques les plus divers chez les auteurs parmi les plus reconnus dans ces disciplines.
La mise en relation de ces différents domaines artistiques (littérature, arts plastiques, musique, architecture, cinéma) pour révéler les fonctionnements similaires qu’ils affichent au cours des différentes périodes de l’Histoire de l’art depuis la fin du XIXe siècle, a pour conséquence de faire voir chacun de ces domaines sous un angle plus large.
Cet ouvrage peut alors retracer l’histoire de ce renversement, depuis sa « révolution » initiale jusqu’à ses versions les plus récentes en passant par ses avatars réductionnistes ou ses élargissements contextuels. Faisant l’économie des catégories historicistes de la modernité, cette histoire en propose une reconception, progressivement élargie en une théorie des rapports médium / contexte / champ élaborée en fonction de critères perceptuels.
Comme les analyses proposées s’appuient sur des exemples qui ne cessent de mettre en relation différents domaines artistiques (littérature, arts plastiques, musique, architecture, cinéma), cet ouvrage conduit finalement à repenser l’articulation de ces domaines sous le mode des déductions de l’art, montrant qu’il devient possible de faire émerger un art à partir d’un autre en établissant ainsi une sorte de continuum.
Déductions de l'art : forme du livre
Figure de la traversée
La Poursuite, roman flipbook, et Déductions du support, de Mallarmé au continuum de l’art, un récit transverse, conçus au cours des décennies 2000-2010, ont la traversée pour figure commune.
En effet, le roman flipbook La Poursuite, qui prolonge Le Stade en en élargissant le champ à une « base » alignant quatre édifices, a pour site une « zone » que recouvre une épaisse couche de brume masquant le ciel. Dans l’espoir d’accéder au jour, le personnage principal – qui est le même que celui du Stade – va traverser cette zone grise et cette traversée en ligne droite constitue l’histoire de ce roman. Si elle est sans cesse renvoyée à la « base », cette traversée fait surtout assister aux transformations successives d’un paysage de plus en plus fantastique qui conduit à sa propre disparition.
Quant à l’essai Déductions du support, il propose le « récit transverse » d’une pensée artistique qui a vu le jour avec Mallarmé et selon laquelle il s’agit de déduire le sens des œuvres d’art de l’exploration des propriétés de leur langage, de leur médium, voire de leurs lieux d’accueil. Si pour l’idéologie « postmoderne » favorable à la notion de « grand récit », cette pensée déductive appartient à une époque révolue, cet essai montre au contraire qu’elle n’a cessé de traverser les époques jusqu’à aujourd’hui et dans tous les domaines.
La Poursuite : traversée de la zone en ligne droite
Déductions du support : traversée des domaines artistiques
de la fin du 19e siècle jusqu'à aujourd'huii
D
Figure du biais
Un plan tramé, récit plastique pour trois murs et Des relations édifiantes, essai d’architecture métafonctionnelle, conçus au cours des décennies 1980-1990, ont le biais pour figure commune.
En effet, le récit plastique Un plan tramé se présente sous la forme d’un volume géométrique de base carrée, constitué de trois murs sur lesquels du texte est inscrit à hauteur des yeux. Il s’ensuit que le deuxième mur, faisant la transition entre les deux autres, est dessiné de biais et que son texte est disposé selon des italiques correspondant à l’inclinaison du dessin qui raye la surface de ce mur.
Quant à l’essai Des relations édifiantes, il s’ouvre sur une analyse des fenêtres les plus hautes de la Chapelle Médicis de Michel-Ange dont les découpes forment des trapèzes isocèles au lieu des rectangles attendus. Il passe ensuite par une analyse de la sculpture in situ de Daniel Buren dans la cour d’honneur du Palais-Royal, Les Deux Plateaux, dont le second affiche une franche obliquité. Et se termine par une analyse du parc de la Villette de Bernard Tschumi, dont le biais est un des principes générateurs.
Présentation 1 : La Poursuite en ses esquisses
Librairie Michèle Ignazi, Paris
(16 juin 2021)
Athlétisme, allongement de l'épreuve de course
Établissement, diagramme du stade
Lecture du Stade au Point Éphémère, juin 2009
(extraits d'Athlétisme)
Des Relations édifiantes, essai d’architecture métafonctionnelle
Michel-Ange – Le Bernin, Sol LeWitt, Jean Nouvel, Piano & Rodgers – Michael Asher, Mario Botta, Michel-Ange, Gaudi – Buren – Tschumi
Ainsi que sa table des matières l’atteste, la composition de ce livre organise les objets qu’il présente selon une échelle croissante d’éléments : la fenêtre, l’habitation, l’immeuble, le quartier, la ville.
Des Relations édifiantes
Essai d’architecture métafonctionnelle
Paris, Les Impressions nouvelles, coll. « conséquences », 1992
Les constructions architecturales et urbaines sont d’ordinaire agencées à des fins essentiellement pratiques, ou fonctionnelles. Cependant, certaines organisations d’édifices, ici qualifiés de métafonctionnels, montrent qu’un rôle dominant peut être accordé à des relations formelles spécifiques, le plus souvent spatiales. Or ces arrangements singuliers, parce qu’ils agissent sur les fonctions qui leur sont associées, tendent à changer les usages reçus. C’est à répertorier, de Michel-Ange à l’Institut du monde arabe, de Mario Botta au parc de la Villette, quelques-unes de ces « relations édifiantes » et à mettre en évidence l’enjeu, dont elles sont diversement porteuses, que cet ouvrage s’est avant tout attaché.
De même, plusieurs artistes proches des tendances conceptuelle et minimaliste, comme Michael Asher ou Sol LeWitt, ont fait apparaître que le traitement décoratif des lieux était capable de rapports autrement plus subtils que la simple valorisation fonctionnelle. C’est à développer pareils décalages et renversements imprévus que ce livre s’est en outre essayé.
Les thèses ainsi avancées reçoivent le soutien de deux études consacrées à la sculpture. Si la première permet de suivre pas à pas l’Apollon et Daphné du Bernin, dont l’espace circulaire parvient, en bout de course, à modifier la fiction d’Ovide qui lui sert de base, le lecteur découvrira, avec la seconde, comment Les deux plateaux de Daniel Buren, déduits de la cour du Palais Royal où ils s’inscrivent, proposent un nouveau type de compréhension des lieux.
Largement inspiré des travaux théoriques de Jean Ricardou menés sur la littérature, cet essai peut encore être lu comme une tentative d’exportation, aux arts de l’espace, de concepts élaborés dans le domaine de l’écrit.
Quatrième de couverture
Collaborateur d’art press, principal animateur, avec le maquettiste et metteur en scène Patrice Hamel de la revue conséquences, où il a notamment renouvelé la tradition de la poésie visuelle inspirée de Mallarmé, Guy Lelong vient de publier un premier essai, Des relations édifiantes, réflexion sur les pratiques artistiques et les lieux où elles s’insèrent, qui s’impose d’emblée comme une véritable révélation, tant par la richesse de ses vues que par la rigueur d’un style très sobre et très clair. Aux antipodes d’une pensée victime de la diversité apparente des objets qui se présentent à l’analyse, le livre de Guy Lelong échappe radicalement au compartimentage du réel en domaines étanches (urbanisme, sculpture, architecture, arts plastiques, décoration, pour en rester aux exemples privilégiés de cette étude). À pareille division, devenue invisible ou naturelle à force d’être répétée, Lelong oppose une approche fondée sur la prise en considération des liens entre les aspects formels des objets et les usages qui leur sont destinés. Suivant que les propriétés formelles des objets se plient à leur usage pour mieux le souligner ou qu’elles tendent à s’y soustraire afin de se donner elles-mêmes à voir, Lelong qualifie les structures examinées de fonctionnelles ou de métafonctionnelles. C’est à ces dernières qu’est consacré Des relations édifiantes. Arpentant les domaines les plus divers, Lelong propose une relecture passionnante d’œuvres jugées archiconnues, comme Apollon et Daphné du Bernin, le Centre Beaubourg ou encore certains travaux de Sol LeWitt, mais où la mise en avant du facteur métafonctionnel permet de souligner le rapport à l’espace environnant, l’implication créatrice du site, la reconnaissance du lieu dont naît l’œuvre et qui lui donne sens et cohésion. L’importance de ce choix – qui exhibe le lieu au détriment de l’usage – tient non seulement au renversement du rôle dominant de l’usage et du fonctionnel, bref de la consommation, mais aussi et surtout à la mise au jour du pouvoir de transformation inhérent au principe de métafonctionnalité. En effet, pour peu que l’on se rende compte que tel soi-disant détail formel (le cadre d’un tableau, la proportion des étages d’une maison, l’ornementation d’un parc) peut faire l’objet d’une manœuvre qui l’arrache à son destin fonctionnaliste, l’on s’aperçoit que c’est l’ensemble même (la toile et son mur, l’édifice, la cité) qui se trouve investi par une possibilité identique : l’usager cesse alors d’être un pur consommateur de l’espace qui l’entoure. Il devient clair ainsi que les enjeux de ce livre (du reste intelligemment mis en page et superbement illustré) sont hautement politiques, parce que hautement formels. Le grand mérite de l’essai de Guy Lelong est peut-être de démontrer que l’apparente contradiction de ces deux préoccupations, formelle et politique, est justement le piège où nous enferme la toute-puissance du fonctionnel. Une éclatante illustration de la méthode de l’auteur est fournie par la lecture de certains des objets récemment apparus dans le paysage parisien : Les deux plateaux de Daniel Buren et les Folies de Bernard Tschumi. Avec une finesse et un sens de la pédagogie hors pairs, Guy Lelong explique en effet jusqu’à quel point ces réalisations controversées se dérobent aux dogmes fonctionnalistes, invitant du même coup le spectateur à ne plus seulement subir le lieu qu’il habite, fréquente, traverse, ignore, mais à en devenir aussi, par les métamorphoses entrevues, le véritable artisan.
Jan Baetens
Le Stade
roman in situ
Paris, éditions Les petits matins, coll. « Les grands soirs », 2009
Dispositif textuel et récit autoréflexif Le Stade raconte, ou plutôt désigne, la préparation d’un roman et d’une épreuve de tétrathlon. Son volume varie, évolue et s’accroît, progressivement, contextuellement, selon les effets de la linéarité et de la verticalité, les lignes et les bandes, qui, par travelling, structurent le livre et organisent sa lecture.
L’organisation compositionnelle du texte est formée de quatre grandes unités qui s’articulent suivant un enchaînement apparemment chronologique : Établissement, Entraînement, Athlétisme et Rétablissement. Quatre séquences correspondant aux quatre phases d’élaboration du roman : le concept, le scénario, l’écriture, l’édition. Et à quatre œuvres érigées en genres : Perec, Projet de roman = le « projet de livre » ; Borges, La Mort et la Boussole = le « récit d’enquête » ; Faulkner, Le Bruit et la Fureur = le « récit textuel » et enfin Claude Ollier, Fuzzy Sets = le « récit spatialisé ». Le texte est présenté comme la déduction ou l’application de principes qui évoluent dans le temps selon un processus de morphing.
D’emblée Le Stade montre un absolu recul par rapport à lui-même, qui se manifeste notamment par la recherche d’une maîtrise de l’aléa : l’événement énigmatique de l’origine et celui de l’exposition lors de l’édition – les limites initiales et finales de l’œuvre. De sorte que le livre se tient à la fois en lui-même et à son seuil.
Dans la première partie, l’auteur se donne des autoconsignes et énonce clairement son projet : « L’histoire que je me propose […] de raconter ne se conçoit que par rapport à cette forme évolutive. En fait libéré de l’obligation de servir un contenu, ce roman enquête sur des formes encore inconnues de lui-même. Son désir de faire parallèlement percevoir sa propre organisation le conduit à prendre des contorsions parfois presque athlétiques. »
Si Le Stade est soutenu par une armature théorique visible, cette structure, bien que montrée et démontrée, n’est jamais tout à fait démontrable. Irrésistiblement et jusqu’au bout se profile une perspective seconde commandée par « tout un réseau de fausses pistes ». En prescrivant une conscience liseuse, le texte contraint son lecteur, allant d’hypothèse en hypothèse, à porter attention au dédoublement des formes les plus visibles : symétries, coïncidences, répétitions, effets de miroirs, écrans.
Le métadiscours de l’auteur contribue, tout en dévoilant son fonctionnement, ou en feignant de le dévoiler, à dédoubler le roman lui-même. Par un procédé ingénieux, proprement renversant, le récit de l’épreuve de tétrathlon peut être lu comme un récit second, un récit abymé, précédant ou annonçant le déroulement d’une macro-histoire ou comme une mise en périphérie d’un micro-récit : il y a à la fois analogie – répétition, condensation, anticipation, déformation – et dynamique de production – directives et injonctions. Cet étrange processus de dédoublement et de contestation du récit – vertiges, ambiguïtés, paradoxes, incompréhensions, chutes – produit une œuvre à la fois très concertée et en perpétuel déséquilibre, parfaitement imprévisible, dans laquelle le lecteur et le narrateur (qui devient ensuite personnage) sont piégés par une même mécanique, un même dispositif, qui leur échappe. Celui-ci se manifeste par une série d’épreuves dont les ratages successifs, qui contribuent au comique du livre, entraînent replays, arrêts sur image et vérifications compulsives.
Le Stade s’inscrit certes, à différents plans de sa composition, dans un corpus constitué par le roman structuraliste, le roman à contrainte (Georges Perec – la fiction est « toute déduite de principes d’écriture ») et le Nouveau Roman (Alain Robbe-Grillet et Claude Ollier relus par Ricardou), il se singularise cependant par son projet qui consiste à atteindre avec minimalisme et humour une forme d’autoréférentialité totale, au-delà de toute tautologie, et d’autant plus absolue qu’elle se refuse à toute forme d’intransitivité : « plus une fiction réfère à sa propre écriture, plus elle se rapporte de façon inattendue à diverses régions du réel ». Principe selon lequel plus un texte est « contraint », plus il contraint des impressions référentielles : des représentations mentales illimitées.
L’autotélie ne vise donc pas à fermer le roman sur lui-même, mais à activer le processus qui lui donne forme, à le « rétablir » linéairement selon l’apparente chronologie des quatre phases auto-désignées de sa formation, de son évolution et de sa transformation.
Samuel Lequette, Sitaudis, 2009
Le Continuum
roman 3D
en cours d’écriture
L’édifice changeant que Le Continuum désigne a pour structure celle de cette Construction.
Dernier volet de la trilogie Le Volume unifié, venant après le roman in situ Le Stade et le roman flip-book La Poursuite, Le Continuum est un roman 3D. En effet, la succession des pages de ce livre présente des pavés de texte dont les dessins évolutifs forment en se superposant la maquette sommaire de l’édifice changeant appelé le Continuum où toute l’action se passe.
Parallèlement aux aventures qui se produisent au fur et à mesure que les huit occupants descendent les quatre niveaux de cet édifice à raison d’une période de la journée par niveau (soirée, nuit, matin, après-midi), trois autres constructions, attirées par cet édifice, glissent lentement vers lui jusqu’à totalement s’y imbriquer. Alors la succession des pages parvient à former la maquette de l’ensemble devenu un volume unifié.
Cette unification est aussi celle du texte et du livre faisant qu’in fine les huit occupants, aidés par l’inconduite d’un personnage externe entrant soudainement dans l’histoire, accéderont à la vue toute nouvelle d’un champ textuel étendu leur permettant de sortir à la fois du Continuum et du domaine clos de la littérature.
Glissement progressif des édifices
Figure génératrice du Continuum
Imbrication progressive dans le Continuum des trois autres édifices (le Grand Slash, le Verso & la Station) entraînant la modification des pavés de texte
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